Une administratrice ingénieure ou ingénieuse ?

Branle-bas de combat, les réseaux relaient la demande d'une administratrice recherchée pour cette entreprise en croissance, bien installée dans son terroir et présidée par son fondateur.

Oui mais ... il me faudrait une ingénieure, travaillant dans mon secteur d'activité, avec bien sûr une expérience internationale !

Toute ressemblance avec une situation réelle serait totalement le fruit du hasard.

Il s'agit pour moi d'illustrer la difficulté que peuvent avoir certains conseils à imaginer que des profils totalement différents de leur équipe dirigeante puissent être source de regards ...ingénieux à défaut d'être ingénieurs ;)

Car à quoi bon cloner son Comité de Direction au sein de son Conseil d'Administration ?
N'est-il pas plutôt l'organe qui questionne les évidences de l'équipe dirigeante ? Et comment pourrait-il le faire s'il partage le même bagage académique, le même parcours professionnel, les mêmes réflexes attachés au même secteur d'activité ? D'où viendrait alors sa capacité à faire un pas de côté permis justement par un autre parcours ? D'où viendrait cette créativité liée à la confrontation d'univers et points de vue éloignés ?

Bien sûr ces "atypiques du secteur" devront rapidement acquérir les fondamentaux du métier de l'entreprise, mais n'est-ce pas tout simplement la qualité fondamentale de celle ou celui qui fait l'effort d'explorer d'autres possibles plutôt que de briguer le confort de la linéarité de carrière, de pensée et de vie ? En soi, oser se positionner sur un mandat dans un autre secteur d'activité est une preuve de cette capacité à se renouveler ! 

Ces audacieux.ses devront aussi être capables de questionner une stratégie, sa pertinence et sa faisabilité.

J'ai encore en tête cette étude de cas exhaustive qui clôturait ma formation d'administratrice et conditionnait l'obtention de ma certification.
La problématique concernait le rachat ou non d'une société, dans l'hypothèse d'une diversification de l'entreprise à actionnariat familial dans laquelle je jouais le rôle d'administratrice. Il s'agissait d'un secteur très technique. La cible à acquérir était un fabricant de drones. S'y ajoutait un questionnement RH, talents à acquérir ou à conserver et à rémunérer (package), pour garantir l'intégration et le développement de l'entité rachetée.  

L'exercice le plus difficile dans cette étude de cas de rachat d'entreprise n'était pas du tout lié aux données techniques mais plutôt à la capacité d'intégration de l'ensemble des variables de l'équation réussite de ce projet, à leur pesée respective et enfin à la construction pédagogique de son analyse.

Nous avons tous des parcours de vie différents, des expertises propres, des modèles mentaux parfois très éloignés -je pense notamment à l'échelle très variable des comportements face au risque- et expliciter son raisonnement à ses collègues du Conseil, avant de questionner le DG, pourrait bien être le challenge central ;)

Il ne m'a semblé à aucun moment être mise en difficulté par un quelconque déficit d'expertise technique ou par méconnaissance du secteur d'activité en question.

Pourquoi ?
Car je disposais de quelques données synthétiques sur le secteur d'activité des deux entités et la technologie et les usages potentiels des drones.
Car d'évidence, si je devais être l'administratrice de cette société, je demanderais à disposer de ces informations afin d'éclairer mon analyse. Comme le ferait, me semble-t-il, le Conseil d'Administration dans son ensemble. Il l'obtiendrait par l'équipe dirigeante et étendrait sa perspective via d'autres sources contradictoires pour mieux préciser ses questions lors de la présentation du projet par le DG.

Il est certain aussi qu'au sein du Conseil, au moins l'un des membres soit un fin connaisseur du secteur de l'entreprise acquéreuse, surtout dans le cas d'une entreprise familiale. Ses objections et ses apports viendraient immanquablement nourrir les échanges. Je pense notamment à sa connaissance de la culture de l'entreprise, son histoire, ses challenges internes etc.

Mais revenons à cette demande urgente d'une administratrice ingénieure, ayant une expérience à l'international, travaillant dans le même secteur d'activité etc. etc.

Le 1er réflexe d'un administrateur potentiel ou même d'un professionnel tout court, qui a déjà un riche parcours, est de rassembler quelques informations synthétiques sur l'entreprise demandeuse. Il suit finalement une logique similaire à "cette fameuse étude de cas" décrite ci-dessus. 

Voir "la grande carte "puis zoomer sur les zones d'ombre pour pouvoir questionner de manière constructive. 
Et cette réflexion pourrait l'amener à vouloir éclairer un angle mort, humain et souvent inconscient, et parfois présent chez les dirigeant.es fondateurs, qui pourraient vouloir garder un oeil très très très présent sur leur création...

Car cette demande d'une administratrice "si experte du métier de l'entreprise ?", pourrait illustrer aussi le désir d'asseoir un pouvoir concurrent à celui de l'équipe dirigeante. 

Puis rapidement pourrait devenir un organe qui juge, à défaut de travailler à étendre le champ de ses questions, grâce à la diversité des expertises et parcours de vie au sein du Conseil.

Mais cela n'arriverait pas avec une femme qui n'est plus une ingénue, car elle ne s'engagerait pas dans cette mission...périlleuse ;-)

Sauf peut-être si la question de départ était mieux posée 

Une femme administratrice pour quoi faire ?